Un regard critique sur les droits d’auteur
Godard aborde la question des droits d’auteur avec une perspective à la fois pragmatique et désabusée. Pour lui, les droits d’auteur ne sont pas une fin en soi, mais un moyen parmi d’autres dans le cadre d’une industrie cinématographique structurée par des contrats et des producteurs. Il explique que, lorsqu’il réalise un film, il est payé pour son travail, et l’œuvre, une fois produite, appartient souvent aux producteurs. Ces derniers, selon lui, assument une responsabilité sociale et financière, tandis que l’auteur, une fois rémunéré, perd souvent le contrôle sur la diffusion et l’exploitation de son œuvre.
Dans cet entretien, Godard critique l’obsession contemporaine pour la propriété intellectuelle, qu’il perçoit comme un outil de contrôle des pouvoirs en place. Il évoque des lois comme Hadopi, visant à pénaliser le téléchargement illégal, qu’il juge répressives et déconnectées de la réalité de la création artistique. Pour Godard, l’idée même de droits d’auteur prolongés (jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur, comme le stipule la loi française) est absurde. Il ironise sur le fait que les héritiers puissent bénéficier des revenus d’une œuvre sans y avoir contribué, comparant cela à une forme d’injustice sociale.
Une vision libérée de la création
L’entretien révèle une tension entre la tradition de l’écrit, qui domine la notion de propriété intellectuelle, et l’image, au cœur du cinéma. Godard insiste sur le fait que le cinéma, en tant qu’art visuel, échappe partiellement à cette logique de contrôle. Il évoque l’évolution des moyens de diffusion, notamment l’internet et YouTube, qui permettent une circulation des œuvres en dehors des circuits traditionnels. Cependant, il déplore que les créateurs, parfois prisonniers d’un corporatisme rigide, cherchent à protéger leurs œuvres au détriment d’une diffusion libre et universelle.
Godard/Branco - L'auteur a-t-il des droits ? Le scénario.
Godard se positionne comme un cinéaste qui privilégie la création et l’impact de ses films sur le public, plutôt que la défense acharnée de ses droits. Il raconte, par exemple, avoir profité du système des droits d’auteur pour vivre de ses films diffusés à la télévision, tout en se disant détaché de l’idée de propriété exclusive. Pour lui, une œuvre doit vivre et être vue, même si cela implique qu’elle échappe à son contrôle.
Une critique de l’industrie et des nouvelles technologies
L’entretien aborde également la place du cinéma dans un monde saturé d’images et de technologies. Godard s’interroge sur l’avenir de la 3D et des écrans, qu’il voit comme des gadgets souvent dénués de sens artistique. Il critique l’industrialisation du cinéma, où les films sont produits dans l’espoir de rentabilité immédiate, et où les équipes techniques, autrefois unies par une vision commune, sont aujourd’hui dispersées et mécanisées.
Il évoque aussi la chronologie des médias en France, un système qui, selon lui, favorise les grandes structures comme Canal+ au détriment des petits créateurs. Godard appelle à une réinvention du cinéma, où les auteurs pourraient redevenir leurs propres producteurs, diffusant leurs œuvres directement via des plateformes modernes, sans intermédiaires.
Une réflexion philosophique et historique
Godard/Branco - L'auteur a-t-il des droits ? : L'évolution du Cinéma.
Fidèle à son style, Godard mêle ses réflexions sur les droits d’auteur à des références historiques et philosophiques. Il évoque la Résistance française, où l’argent était un moyen et non une fin, pour critiquer la marchandisation actuelle de l’art. Il cite également Montaigne et les Lumières, suggérant que la société moderne a oublié l’idée de devoir au profit d’une obsession pour les droits individuels.
Godard se montre nostalgique d’une époque où les cinéastes, comme ceux de la Nouvelle Vague, pouvaient créer librement, sans être entravés par des considérations juridiques ou commerciales. Il regrette que le cinéma d’auteur soit devenu, en France, une industrie rentable mais formatée, où les films sont souvent produits pour répondre à des attentes institutionnelles plutôt que pour explorer de nouvelles formes d’expression.
Cet entretien entre Godard et Branco est une plongée fascinante dans l’esprit d’un cinéaste qui refuse de se plier aux conventions. Sur la question des droits d’auteur, Godard adopte une position radicale : ils sont secondaires face à la nécessité de créer et de partager. À une époque où la diffusion numérique redéfinit les rapports entre créateurs, producteurs et public, ses propos résonnent comme un appel à repenser la place de l’artiste dans la société. Cette vidéo, à la fois dense et digressive, est une invitation à réfléchir aux tensions entre création, propriété et liberté dans le cinéma contemporain.